L’idée de se réunir est vieille comme le monde : l’union fait la force, à plusieurs on est moins seul… Déjà Cro-Magnon devait penser cela en allant attaquer le mammouth. Depuis, cet auto-entrepreneur est devenu patron de multinationale et ce n’est plus la même histoire. Tout le monde se réunit dans tous les coins, sous des formes variées, avec des buts encore plus divers, jonglant parfois avec les fuseaux horaires ou les langues de travail.
Quel rapport entre la réunion du CA, celle du COMEX, du CODIR, la réunion hebdomadaire du service, les réunions projet, les réunions d’information ou de formation, les brainstormings et autres réunions du CSE.
Disons-le tout de suite, je ne vais pas m’appesantir sur les réunions qui fonctionnent, ni reprendre l’essentiel des multiples ouvrages ou séminaires sur la question pour en faire la nième édition. Je souhaite simplement ramener de la rigueur et du bon sens dans le processus, en espérant ainsi libérer un peu de temps à chacun et surtout un peu de confort dans l’emploi du temps.
La réunion : incontournable, mais une triste réalité et une énigme
On le voit, les réunions consomment de plus en plus de temps dans la vie des managers avec un constat quasi général : on y perd (parfois ou souvent) son temps. Bizarre que dans cet univers si rationnel, l’on perpétue et développe l’usage d’un outil si peu performant et si peu satisfaisant.
Grâce au COVID et un peu à son image, le phénomène s’est encore accéléré. Les moyens techniques étant opportunément disponibles pour faire perdre en visio le temps gagné dans les transports.
Un rapide sondage dans le milieu managérial que je côtoie indique que sur un temps de travail hebdomadaire moyen de 45/50 h, 25/35 h sont passées en confcall ! Si l’on ajoute à cela, une dizaine d’heures à traiter les mails (que certains traitent en réunion compte tenu du peu d’intérêt de celle-ci ou du don d’ubiquité de ceux-là), et les temps de management et de reporting, il doit rester à peine 2 heures par jour pour faire son métier et assurer la gestion quotidienne.
Quant à réfléchir, préparer l’avenir, autant oublier (ou mission impossible ou équivalent…..). Les réunions s’enchaînent, la synthèse et les plans d’action de la précédente sont oblitérés par la préparation sommaire (ou pas) de la suivante. A terme il y a danger de surinvestissement improductif ! Comment est-ce possible ?
Revenons en arrière… Il y a des bases mal posées
Les réunions souffrent des défauts de la nature humaine. Un outil de travail a été transformé en outil de pouvoir. Le rôle d’un conducteur de réunion (Jean Marie Cavada s’intitulait directeur de débat, pour les plus anciens) a été dévalué en « animateur ». C’est moins violent mais ça pèse moins lourd. Au final, on évite toutes les remises en cause gênantes.
Organiser une réunion c’est une démonstration de force, y participer, une manière d’évaluer son positionnement dans la structure.
La capacité de provoquer une réunion est proportionnelle au pouvoir détenu. Le standing de la réunion aussi. Quand on débute, on ne va pas aux réunions. Puis (si tout va bien), on est convié de temps en temps, surtout pour écouter. Après quelques années on « entre en réunions », un peu comme dans les ordres. « Je ne peux pas le déranger il est en réunion ». Le monde peut s’écrouler.
Enfin arrive enfin la consécration : « j’ai assez de pouvoir pour décider une réunion ». Il y aura là encore des graduations. La base, café seul. L’intermédiaire, café et viennoiseries. Le summum, plateau repas, voir même restaurant de direction. Tout cela appartient au même classement qu’une grosse voiture de fonction, ou 5 barrettes sur un uniforme. Respect et salut à 10 mètres.
Après cette appropriation du phallus, il y a encore à choisir les participants. Hiérarchique ou compétent ? Sympa ou casse-pieds ? Utile ou facteur d’ambiance ? Inutile mais incontournable ? Cornélien. Dur dur d’être chef ! Et si l’on n’invitait que ceux qui vont avoir une réelle contribution, quitte à adresser un compte rendu bien fait aux autres ?
Ne perdons pas de vue qu’un participant moyen coûte de 60 à 100 € de l’heure chargée. Donc, une réunion de 2 h à 8 revient à claquer « un pognon de dingue ». Sans même le savoir, avec bonne conscience, cette réunionite à raison de 2 fois par jour et 5 jours par semaine, coute 12800€. Pathologie non remboursée par la sécu. Qui peut de nos jours se permettre laisser partir en fumée 13000€ sans contrôle et sans évaluation du résultat ? Apparemment, celui qui décide des réunions estime que c’est encore possible. C’est en son pouvoir !
Des pratiques liées aux égos, loin de l’efficience
Objectif et ordre du jour : 2 outils impératifs et efficaces et pourtant négligés.
Il me semble que l’on oublie très souvent de définir clairement l’objectif de la réunion. C’est pourtant le but qui va caler l’ordre du jour et permettre de fixer une durée ou un horaire de fin (et aussi de solutionner un problème). Avantage ? En fixant l’objectif, on se donne une chance de l’atteindre, on évite les débordements tragiques et la frustration des participants. Dommage de s’en priver.
En début de réunion, l’on n’ose pas poser des questions de base.
Qui a lu l’ordre du jour ? Ne pas avoir peur de la réponse. Le relire ne coute rien et fait gagner du temps. Une fois ça passe.
Qui a travaillé sur le contenu ? Cela valorise les consciencieux et permet de « sentir » le tempo à venir.
Ça permet également de faire percevoir aux touristes qu’ils font perdre à tous un temps précieux par leur incurie, souvent leur paresse, parfois leur incompétence.
Le participant apporte, l’animateur dirige, le chef tranche
A ce stade on comprend que celui qui a organisé la réunion va vouloir y participer, l’animer ou la diriger. Grave erreur.
Ce malheureux directeur va devoir composer entre ses envies d’animer (c’est-à-dire de conduire), de participer (car il est impliqué dans le sujet) et de cheffer (puisque c’est lui le chef). Impossible équation. Le mieux est souvent :
D’être là, de couper court aux discussions byzantines et de laisser à l’animateur (que l’on aura choisi pour sa compétence) le soin de faire contribuer les participants.
De trancher quand c’est nécessaire pour faire avancer le débat, de le garder centré sur l’objectif et d’arriver à une décision.
Quand Karajan dirigeait le Philarmonique de Berlin, il ne se mettait pas au piano.
Comment aider l’animateur ?
Pivot d’une réunion réussie il ne devrait être choisi que pour sa maitrise de la maïeutique (l’art de faire accoucher les esprits).
Dans les réunions de bon ton un gardien du temps, lui sera adjoint afin de rappeler périodiquement que le temps passe, ce que l’on peut prévoir, et que la réunion n’avance pas, ce que chacun sait.
Il doit gérer l’équation sujet / temps / frustration. Les participants finiront par lui reprocher son excès d’écoute et le dirigeant son indécision. Le siège éjectable. Dans le même esprit on va l’aider à repérer et à gérer la dangerosité des participants à coups de simplifications abêtissantes :
Le bestiaire : le renard, le sanglier, le serpent…et autres billevesées
Les inutiles : l’endormi, le bagarreur, le je sais tout… Aussi drôles que sans utilité ;
Les vrais problèmes : l’imbécile, le surdoué, le grossier, le sans gêne, le carriériste, le pervers. J’en oublie.
Par démagogie le conducteur va accepter leurs travers, au mépris du groupe. Lequel groupe va tout de suite comprendre les règles du jeu. « On n’est pas là que pour travailler ; ce qui se dit est très différent de ce qui se passe ». Ne pas confondre car c’est là que commence la recherche du temps perdu. On se bat pour une idée ou une réalité, là où il est question de rapports de forces.
Powerpoint au secours des Conducteurs de Réunion
Au départ étaient les supports, le poids des mots, le choc des photos. Powerpoint a créé les béquilles : la pensée toute prête. Le spectacle a remplacé la raison.
Une réunion sans PWT ? J’ai vu André Comte-Sponville devant 500 personnes avec un feutre et un paperboard expliquer la motivation : Spinoza vs Platon. Sans PWT ! Incroyable. XX siècle ! (texte magnifique, disponible sur demande).
Maintenant en entreprise l’outil a dépassé la pensée. 20 slides pour 10’. C’est la cadence conseillée. L’image a remplacé la réflexion. L’immédiat la vision sur le futur. Le simplisme, la simplicité. On suit d’une oreille distraite, dans la pénombre, un fleuve d’images à défaut d’y trouver le message. Tout en lisant ses mails et en préparant la réunion suivante. Même au cinéma on ne fait pas ça.
Tous fautifs. Les dirigeants qui acceptent, les responsables qui s’y adonnent, les cadres qui se plaignent sans réagir.
Dans ces conditions, nul ne peut se plaindre des réunions, où chacun s’occupe à défaut de participer, ou de mieux jouer le jeu à défaut de pouvoir la changer de jouer la donne.
Soyons positifs. On fait quoi ? Voilà la question fondamentale
Nous touchons ici à la représentation que nous avons de notre rôle dans l’entreprise. Que peut-on se permettre, sans se mettre à risque, (perdre son travail, peut -être un peu excessif ?) et en essayant de mieux le faire son travail ? Puis-je sécher une réunion sans intérêt, en présence d’une Autorité auprès de qui il est bon de se faire valoir ? Puis-je quitter la réunion de mon plein gré quand ce qui me concerne est passé ? L’efficacité suppose de la disponibilité et de l’investissement, pas seulement la présence.
Alors sans faire la révolution, remettons le bon sens et des règles simples en vigueur :
Un objectif clair et mesurable ou évaluable.
Une préparation de tous participants et animateur
Une préparation avant, pas pendant.
Ce qui implique de se passer de ceux qui n’ont rien fait ou de reporter la réunion (ce qui revient à leur donner une importance sans rapport avec leur comportement).
Des rôles acceptés et sans ambigüités : Animateur, participant et décideur.
Des supports explicites, moins de slides et plus de jus de cervelle.
Des comptes rendus rapides qui tiennent compte des apports de la réunion.
Des évaluations, comme pour le reste du travail : instaurer un permis de conduire les réunions.
Questions aux lecteurs :
Peut-on être un bon chef et ne pas savoir mener une réunion ? Merci de vos points de vue et expériences vécues.
Pourrait-on envisager d’évaluer les Conducteurs de réunion en vue de leur attribuer un permis à points de conduire les réunions …Avec des stages de récupération ou d’interdictions définitives ?
Quel rapport avec le coaching ?
Les réunions en tant que tel ne m’ont jamais amené de « cas de coaching ». C’est déjà ça. Mais avec l’importance qu’elles prennent dans l’emploi du temps, le gaspillage d’un temps précieux de personnels déjà surmenés, elles contribuent pour beaucoup au stress et aux états pré-burnout des collaborateurs plus techniques que politiques. Il est intéressant d’y travailler.
J’ai eu l’occasion d’accompagner des Animateurs sous forme d’ethno-coaching. Le principe est d’assister à la réunion, le plus discrètement possible pour ne pas en perturber le fonctionnement, puis de débriefer avec l’animateur, sur sa stratégie, ses méthodes, sa gestion des difficultés, la maîtrise du temps… et de lui faire percevoir ce qui cloche. Pas drôle pour lui mais efficace.
Une question clé à se poser : Cette réunion est-elle nécessaire ? Car ne pas la faire ou la raccourcir, c’est récupérer du temps disponible pour mieux travailler et prendre soin de soi.
A moins que cela ne servent à se ruer sur la prochaine…
Quand je regarde une fourmilière ou une meute fonctionner je m’interroge. Comment font-ils sans réunion ? Il est vrai que les dictateurs ne sont pas fervents des réunions contradictoires. Vous voyez à quoi je pense ?
Je me demande si nous ne devrions pas organiser une réunion pour parler de tout cela !
Bruno Decolasse – Associé Evolution & Transitions
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