Le recrutement : une affaire stratégique
Déjà en son temps Sun Tsu l’avait exprimé : l’art de la guerre c’est notamment de se mettre à la place de l’autre et de l’attaquer là où il n’a pas envie de l’être, en y concentrant ses forces. Rassurez-vous je ne vais pas vous parler de Poutine, mais des stratégies sur lesquelles se bâtissent la relation candidat-recruteur.
Le dossier en réponse à l’annonce
Au commencement était le dossier. Lettre, CV, photo. Deux pages pour résumer sa vie ? Vu comme ça ce n’est pas possible ; en conséquences, au lieu de débuter une biographie laudative, on va donc plutôt valoriser les séquences intéressantes de son parcours, en particulier celles qui présentent un atout pour notre projet d’emploi. Chercher un emploi est une activité au service d’un projet ; pas de projet pas d’emploi. C’est comme un bateau qui avancerait sans but ni cap. C’est le projet qui va permettre de construire la stratégie : le muscle donne du corps (!) au squelette. C’est l’énergie.
Je dois en priorité me poser une question fondamentale : Qu’est-ce que je veux ?
Une fois ce point éclairci, comment montrer à travers les rubriques habituelles du CV que je suis en mesure de réaliser ce que je souhaite, techniquement et professionnellement ? C’est le CV qui va faire le job : en une page maximum. Ensuite, il me faudra montrer l’envie et l’unicité de l’offre que je fais, c’est la lettre d’accompagnement.
Notez que lorsque l’on lit des milliers de lettres de candidatures, d’un style et d’une banalité affligeantes, on ne peut qu’être interrogatif : alors que le candidat a deux pages pour se vendre il n’en utilise qu’une ! Négligence coupable… sans oublier de mentionner ces pauvres mails de transmissions. Navrant ou désolant, j’hésite. D’un autre côté faire court évite de multiplier les fautes de frappe, d’orthographe et de français. Là c’est du suicide de candidature dans 80% des cas au moins.
Tant et si bien qu’une lettre bien tournée, claire et personnalisée (pour le destinataire) accompagnée d’un mail édifiant vont faire toute la différence entre un dossier qui passe et une réponse négative.
Le dossier doit être original mais classique, la lettre personnalisée et motivante, la photo avenante, et le CV informatif et bien rangé. Le but ultime du dossier est d’obtenir le RV. C’est tout. Il est intéressant de tenir des statistiques sur les retours positifs et les refus, pour voir dans quelle mesure le dossier est efficace et se demander s’il ne faudrait pas le faire évoluer, par exemple en révisant le projet.
Ceci est en train d’évoluer profondément depuis que le dossier de candidature est devenu un actif, une marchandise. Encapsulée dans de grands formulaires, les CV sont devenus à votre insu, une ressource au même titre que le pétrole russe ou le blé ukrainien. La forme ne vous appartient plus, la personnalisation non plus. C’est le formulaire qui trône, du haut de sa triste uniformité. Les fichiers sont achetés et revendus entre cabinets, sites et grandes entreprises. De jeunes BAC + 5 scannent inlassablement les bases de données ainsi crées à la recherche de la pépite. De nos jours on s’appuie même sur l’IA pour faire les grands tris : « Notre ordinateur vous a sélectionné pour le poste ».
Il va falloir passer par d’autres canaux pour se débanaliser et redevenir un être humain doué de qualités et de compétences, qui cherche simplement un boulot correct pour gagner sa vie et en faire ce que lui en décide.
Décrypter les annonces
En général une entreprise consacre du temps, souvent du talent et de l’argent pour communiquer sur son besoin. Prenez le temps de lire l’annonce et de documenter le sujet avant de cliquer sur envoi de votre réponse la plus banale, celle qui vous fera dire au bout de 150 clics : « personne ne veut de moi, je suis bon à rien ». Décrypter les annonces, visiter les sites, documentez votre candidature. Devenez chasseur là où l’on vous attend gibier.
Je n’ai pas la place ici pour décrypter les formules les plus courantes des offres, mais je peux vous dire que les grands auteurs n’ont pas irrigué ce milieu ! Serait-il possible d’exprimer un besoin en tout au plus 50 mots (niveau de compréhension de Pablo, mon berger australien), en évitant les sempiternels : dynamique, motivé, compétent, impliqué, relationnel, manager, souple, droit, rigoureux et créatif ? Quand je lis : « mobilité requise » « disponible pour de nouveaux challenges » « disponible et prêt à s’investir », je comprends, en fonction de la loi de Murphy (Tout ce qui peut mal tourner va mal tourner), que je vais passer 5j/5 en déplacement, que les clients pourris seront pour moi et que les séminaires de cohésion auront lieu le weekend, avec conjoint bien sûr. Pourquoi tant de formules aussi creuses qu’incroyables pour communiquer sur le besoin de l’entreprise ?
L’entretien
Il est impératif de se préparer à vendre son projet et de se documenter.
J’ai réalisé 15 000 entretiens depuis mes débuts… A chaque nouvel entretien j’y crois, je me dis : « celui-là il va m’étonner ». Chaque fois je me heurte, dans un demi-sommeil (que les psychanalystes ont eu la brillante idée d’appeler l’écoute flottante), à un tissu de banalités plus ou moins bien récitées.
Un projet se vend, se défend au travers d’un argumentaire construit, étayé par l’expérience professionnelle et conforté par des qualités démontrées par des réalisations concrètes. Evitez à tout prix la banale présentation chronologique de vos faits d’armes dont rien ne ressort, parce que le « quoi » y remplace trop souvent le « pourquoi ». Ce que j’ai fait prédomine sur le pourquoi je l’ai fait. Accessoirement on pourrait étoffer le « ce que j’en ai retiré d’utile pour un futur employeur ».
Autre point fondamental : connaître son sujet. Révisez vos notes sur l’entreprise, visitez le site, comprenez l’activité et tirez en quelques conclusions de base qui montreront que vous n’êtes pas venu en touriste. Tous les employeurs sont sensibles à ce que l’on se soit intéressé à eux. Sans pour autant tenter de leur expliquer leur entreprise, vous devez au moins en connaître l’activité, l’implantation et les grands indicateurs (CA, effectifs…). Tout ceci est disponible sur le WEB.
Premiers pas : connaître l’interlocuteur et son approche.
L’entrepreneur
L’entrepreneur est très intuitif mais il ne brille pas toujours par son écoute. Il va falloir le surprendre et comprendre ses critères de sélection, et seulement ensuite commencer à argumenter. Contentez-vous de quelques :
« Ah bon ? Mais pourquoi ? Et alors ils ont dit quoi ? Comment avez-vous fait ? »
Le tout prononcé d’un air convaincu avec les signaux non verbaux qui vont bien : regard direct, hochements réguliers et air abasourdi périodique, du genre « non ils n’ont pas fait ça ! ». Si en plus vous avez 15 ans de rugby derrière ou votre ceinture noire de karaté ça passe.
Les pros des RH
Avec eux c’est plus compliqué. Les spécialistes RH, typés selon leur origine, (école de Management, Psycho, ou passage obligé d’une carrière), là il faut jouer serré : c’est un professionnel, rodé aux entretiens et attentifs à d’autres signaux que ceux du boss. Plutôt 15 ans de danse classique que karaté !
La version féminine est aussi redoutable que séduisante. Très empathique elle n’en pense pas moins et sait trancher. La version masculine est souvent moins à l’écoute et plus engagée. Dans les deux cas une seule solution, de la franchise, de l’envie et une solide argumentation pour cocher les cases du poste.
Le consultant
Le consultant, c’est un recruteur d’entreprise qui a des enjeux commerciaux. Il a sa propre affaire à faire tourner. Pas de temps à perdre, trouver la voie médiane entre le bon candidat et les fantasmes du client. La garantie de 6 mois du recrutement limite les livraisons médiocres. A recommander pour les postes difficiles ou pour les structures sans véritable recruteur.
Conseils de base
Tenue vestimentaire : normale +. Ne pas choquer. On déploiera les tongs, shorts et mini jupes une fois dans la place. Après-rasage ou parfum avec modération, n’asphyxiez pas votre interlocuteur, il a souvent un conjoint.
Ponctualité : avec un employeur il vaut mieux montrer que l’on a compris le truc des horaires. Dans le pire des cas prévenir dès que l’on sent que le retard est inéluctable. Une remarque : on demande de se faire excuser, on ne s’excuse pas soi-même, ça serait trop facile !
Attente : vous risquez d’attendre un peu. Ne perdez pas votre temps et notez tout ce qui est significatif dans les banalités de l’entreprise. Qui vous accueille, comment? Le parking, les murs, les fauteuils, la lecture à disposition, le bruit, la façon de se parler…Le babyfoot. C’est là que vous allez vivre. Quelles conclusions en tirez-vous ? Envie de les rejoindre ?
Un seul but : obtenir une proposition. Deux objectifs : rassurer et faire rêver.
Le CV sert à obtenir un RV et le contact à obtenir une proposition. On est là pour gagner, le tri, si l’on a plusieurs offres, se fera après. Il faut d’abord gagner.
Rassurer : votre interlocuteur risque gros, sa place ou son cash-flow. Il est donc mort de peur. Votre première mission : le RASSURER. Lui montrer que dans la pile il a tiré le bon candidat…le gendre idéal. Le problème est simple, l’entreprise recherche à travers l’entretien 4 ou 5 informations fondamentales pour elle. Du genre :
Formation initiale,
Expérience d’un domaine ou d’une technique,
Capacité au management,
Qualités humaines et un style personnel.
Vous avez fourbit vos atouts en patrouillant dans les grandes rubriques de votre CV de combat. Il suffit alors d’ajuster le tir en un faisceau d’indices concordants. Par exemple, le poste requiert des qualités humaines :
« Moi j’ai dirigé l’équipe de foot, pris des responsabilités au BDE, managé 5 personnes dans mon dernier poste et je suis président du club des amateurs de fromage de mon village ».
On va comprendre que le management et le relationnel ne vous font pas peur, beaucoup mieux que si vous dites :
« Ah oui, j’aime bien manager » d’une voix tremblotante.
Ne pas se vanter, mais encore moins donner la part belle au doute. A ce stade il faut y aller fort. Imaginez-vous en train de recruter la nounou de vos enfants. La postulante, parfaite par ailleurs, vous déclare tout de go :
« Je vous préviens, je ne me suis jamais occupée de jumeaux ».
Vous faites quoi si vous avez le choix ? Et bien l’entrepreneur, il fait de même.
Faire rêver : pour finir, quels que soient les méthodes ultrasophistiquées utilisées par l’employeur et qui ne traduisent que sa peur du risque (qui n’évite pas le danger comme chacun sait), ce qui va faire la différence, c’est l’adéquation entre vos projets et votre motivation. Maintenant il faut apporter du rêve : « si je le prends j’aurais en plus quelqu’un qui (au choix) : est bilingue, maîtrise Autocad, joue au golf, garde les enfants ».
Parlez donc sans craintes de vos passions, de votre vie, de vos envies. De mémoire de consultant je n’ai jamais vu personne se planter de cette façon si la motivation était là. Et si la nounou de tout à l’heure était capable d’apprendre l’anglais aux jumeaux ? Ah ah !
Le contrat et le salaire
Les Américains en sont presque à inscrire leur salaire sur leur carte de visite, chez nous c’est plus compliqué. Il est de bon ton de ne parler salaire qu’à la fin de l’entretien et d’y aller sur des œufs. Soit vous valez ce que vous demandez et il faut défendre votre demande, soit vous ne les valez pas et alors il ne faut pas le demander.
Par contre, attention aux calculs scabreux et complexes qui peuvent être mis en œuvre pour arriver à faire le compte. En vrac : part variable, ticket restaurant, voiture de service, de fonction, 13è mois, participation et intéressement, niveau de mutuelle, avantages en nature divers pour le plus classique. Vous, vous vivez avec le net mensuel et vous rêvez avec le package annuel, qui n’est pas forcément garanti ou immédiatement disponible. Soyez clair avec vos attentes et vos marges de négociation en sachant deux choses :
Ce n’est pas bon de démarrer en ayant le sentiment de s’être fait avoir, ni d’un côté ni de l’autre. Comme disait Voltaire « Ce qui est clair s’exprime simplement et les mots pour le dire vous viennent aisément ». C’est la même chose pour le salaire
Le salaire est le prix de votre travail et la valeur de votre potentiel. Si l’employeur ratiocine au départ, cela risque d’être compliqué par la suite.
La réponse : il arrive que l’on rencontre 3 à 5 candidats par recrutement et que plusieurs recrutements soient en cours. Sa chez-vous faire repérer et vous faire mémoriser pour sortir du lot : résumez ce qui est convenu, remerciez le lendemain et confirmer votre intérêt, appelez au terme du délai indiqué. Laissez entendre que vous aussi vous êtes en mesure de choisir. Comme consultant j’aime bien que les candidats aient d’autres pistes, je me sens moins seul si je dois faire une erreur… D’un autre côté je préfère qu’il n’ait pas trop le choix : donc pression pour la réponse mais pas de forcing. Quand vous êtes devenu le candidat idéal l’employeur prie pour que vous acceptiez, souvent le plus vite possible (avec le petit chantage, merci de votre réponse rapide nous avons d’autres candidats sous le coude). Ne vous laissez par impressionner, en fait personne dans l’entreprise n’a envie de reprendre la procédure. A ce stade, vous pouvez finir la négociation des détails : date de début, congés sans solde la première année, télétravail, options de la voiture… Idéalement vous accumulez les offres et vous choisissez celle qui vous va le mieux. Dans le pire des cas n’y allez pas par défaut : on paie souvent cher ce genre de choix. Et après ? N’oubliez pas de tenir informé tous ceux qui vous ont aidé et de remercier vos mentors, le monde est petit et la vie est courte. Bon vent. Bruno Decolasse – Associé Evolution & Transitions