Histoire de coaching :
prendre du recul pour éviter le mur
Août 2022
Le contexte
L’entreprise Bateau, récemment rachetée par un fonds de pension anglais, commercialise des équipements individuels hauts de gamme destinés à des professionnels, personnes physiques en utilisation professionnelle individuelle. Initialement organisée en France autour de 5 commerciaux, il faudra 2 changements de direction avant que la responsable commerciale sud-ouest devienne en plus directrice commerciale France. Un poste de responsable grands comptes est alors confié à un collègue jusqu’alors Responsable du secteur Bretagne. Son ancien secteur est alors partagé entre 2 autres commerciaux.
En 2017 Bateau est rachetée en LBO par un fonds de pension anglais. Changement de politique : fini le haut de gamme et fini les grands comptes, on ajoute 2 niveaux de direction en Angleterre, pour faire sérieux. On change aussi de business model, en passant d’un marché de professionnels (B to B) à un marché loisirs (B to C). Les produits restent identiques, mais les prix augmentent considérablement, y compris pour les anciens clients...
Comme prévisible, la stratégie fonctionne à plein puisque le CA s’effondre de 12 à 5 millions d’euros ! Pour remotiver les troupes, la politique des primes est revue. La prime d’objectifs est partagée entre une prime basée sur le comportement (sans objectifs ni entretiens, on pourrait dire une prime de « gueule ») et une prime sur objectifs chiffrés. Les 2 primes ne sont payées que si les objectifs commerciaux sont atteints au moins à 100 %
Les acteurs
Emilien, bientôt 50 ans, a fait toute sa carrière dans le commercial, dans le même style de produits et sur les mêmes marchés. Depuis 10 ans chez Bateau, très motivé hier, il est aujourd’hui inquiet, tant par ces changements de nature technocratique, que par la perception qu’il a de sa fragilité due à son âge, sa spécialisation et ses ancrages régionaux.
Sa femme, acheteuse de profession, a été licenciée pendant un congé maternité. Elle sort à peine d’une dépression de plus de 2 ans. Les enfants ont aujourd’hui 13 et 9 ans. La maison n’est pas finie de payer et l’angoisse financière est réelle : « peur de tout perdre et de partir en vrille ».
Le drame éclate
« Je me sens comme face à un mur ou dans un labyrinthe » « Je ne vois pas d’issue à ma situation, je n’ai plus goût à rien, je suis fatigué ». Effectivement, le médecin de famille constate une situation préoccupante et prescrit arrêt de travail et anxiolytiques. Emilien ne prend pas les seconds, question d’image et de fierté mal placée. Il se laisse aller et ne voit plus ses amis…Pas besoin d’avoir fait 5 ans de psycho pour voir le burnout arriver. Comble de bonheur, sa demande de bilan de compétences lui est refusée sèchement, compte tenu du contexte. Finalement il se décide pour un coaching, qu’il finance lui-même. Son objectif est flou : « ça doit changer », difficile pour lui de cerner quoi changer. J’assure son coaching, après 2 séances nous y verrons plus clair.
Analyse
Nous entamons un coaching professionnel, laissant au médecin et à la psychothérapeute le soin de gérer les situations médicale et personnelle. Emilien fera utilement le lien entre les 3.
Lors des premiers entretiens il apparait que :
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Emilien est paralysé par la peur de perdre son emploi et de mettre la famille dans une situation inextricable. Cette peur est encore accentuée par la honte qu’il éprouve vis-à-vis de sa femme, de ses enfants et de ses relations, à ne plus aller travailler. « Je dois être fort et mettre ma famille à l’abri ». Un peu comme Bruce Willis dans ses œuvres, lorsque le monde et les méchants s’acharnent sur lui.
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Sur le plan professionnel Emilien est très attaché à sa société et à son produit, sans parler de ses clients dont certains sont devenus quasiment des amis. Il est meurtri de voir le nouvel actionnaire « tout casser ». Ces univers des grands comptes et du secteur ouest sont un peu ses bébés. « Cette boite c’est un peu la mienne ».
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Il est déçu de l’attitude de sa manager, qui ne partage pas ses angoisses et se plie aux nouveaux objectifs sans discuter. Ses collègues « se contentent de bosser ». Deux négocient leur départ, à priori ils ne seront pas remplacés. Sentiment de trahison.
Pour le premier point, nous travaillons à partir d’une bio professionnelle détaillée, pour se remémorer les grands moments de sa carrière, et voir comment il a construit ses succès et géré ses échecs. Ces travaux permettent de renouveler le capital confiance qu’il a en lui, et de jouer en positif sur l’estime de soi. Il retrouve en lui l’ancien stratège combatif. Dans le même temps nous lui suggérons, comme un défi, de reprendre une activité sportive. Il choisi le footing/trail. Je lui demande de noter ses temps et ses parcours. Les parcours s’allongent et les temps diminuent. Pas de quoi aller aux JO, mais il retrouve la fierté « d’en avoir sous le pied » !
Côté professionnel, Emilien prend peu à peu conscience de son surinvestissement affectif dans sa société. Syndrome fréquent chez ceux qui pensent devoir à leur seul travail ce qu’ils sont.
Au cours de ces séances nous travaillons avec l’outil de DILTS, qui analyse 6 niveaux de conscience :
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Analyse de l’environnement tel que perçu par la personne,
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Analyse des comportements,
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Analyse des capacités
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Analyse des croyances,
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Analyse des valeurs,
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Enfin l’identité de l’individu dans son univers.
Lorsqu’une difficulté est repérée sur l’un des six niveaux, il convient d’en trouver les racines au niveau supérieur. Résumé rapide des niveaux logiques de DILTS, mais ne vous inquiétez pas nous y consacreront prochainement une autre lettre.
Pour Emilien, la peur d’échouer et les risques collatéraux avaient bousculé sa confiance en lui et son estime de soi. Nous avons donc travaillé sur les valeurs liées à sa personne et à son professionnalisme pour revaloriser les niveaux dépréciés.
Par exemple, le syndrome bien connu et mal vécu de l’imposteur pose le problème de la légitimité de l’individu face à la confiance accordée par l’autre (« bien à tort, s’il savait ! »). Il y a souvent un problème de fausses croyances qu’il faut aborder pendant le coaching.
Emilien réalise que son travail, sa société et ses collègues ne sont qu’une partie de sa vie, qu’il y a aussi la famille et les activités sociales. S’imaginer que ceci constitue le sens (l’essence) d’une vie, c’est s’auto-condamner à un jeu de dupes. Emilien prend donc de la distance avec son univers professionnel. Travailler pour gagner sa vie, OK. Respecter les autres et le travail, OK. Accepter les limites du contrat de travail et du lien de subordination, OK. Subir un manager parfois narcissique ou charismatique, pourquoi pas. Mais se tuer au travail, à partir de maintenant, non !
Finalement la redéfinition de la place d’Emilien, de son rôle et des limites raisonnables de son investissement, lui font percevoir la relativité de ses points de vue et accepter que les autres vivent la situation à leur manière. Il n’y pas beaucoup d’alternatives ; acceptation, combat ou fuite.
Le temps a amené le recul nécessaire, la relativisation de la situation. Le footing a renouvelé le capital confiance en soi et symbolisé le retour de l’esprit de conquête. Les échanges familiaux assainis ont montré la solidité des liens ; la vanité de se croire le sauveur a été remplacée par le réconfort qu’apporte la solidarité face aux difficultés. Le psy lui a permis de mieux comprendre les mécanismes profonds qui sont en jeu. L’équilibre de vie et l’envie sont revenus progressivement. La reprise du travail s’est bien passée. Emilien s’est rendu compte à cette occasion, que sa cheffe avait besoin de lui, ce qui lui a donné du cœur à l’ouvrage
Et après ?
Un an plus tard, le fonds a revendu cette affaire qu’il ne savait pas gérer, à une autre entreprise anglaise, acteur sur le même marché que Bateau et représentant un complément de gamme et d’implantation. En un mot, il y a eu synergie.
Emilien a repris sereinement ses fonctions de responsable grands comptes, élargies aux 2 entités.
Morale de l’histoire
Une mauvaise gestion peut conduire des individus irréprochables et compétents vers des déséquilibres personnels que leur situation privée (ou la croyance qu’ils en ont) rend vulnérable à un moment donné. C’est le devoir de l’entreprise et de ses managers d’y être attentifs, afin de préserver le capital humain.
Bruno Decolasse – Associé Evolution & Transitions