laDEMISSION :
UN SAUT DANS L'inconnu ou
un sot dans le vide?
Décembre 2022
Olivier qui roupillait tranquillement dans son insatisfaction professionnelle latente, se réveille d’un coup : appel d’un chasseur, critique d’un collègue, admonestation d’un boss, mépris d’un paranoïaque… PARTIR ! La Grande Démission !
Quelques chiffres et quelques faits (issus des études de la DARES)
470 000 démissions (CDI) par trimestre en 2022, soit un taux moyen de 2,7 % de la population salariée. Taux inégalés depuis …2008… 2001, 2 périodes post crise. Le taux de démission est bas en période de crise et augmente fortement en période de reprise rapide (2021, 2022).
Conséquemment le recrutement passe en mode crise ; le taux de chômage reste élevé en France pour des raisons structurelles, mais la pénurie explose dans certains secteurs ou certaines fonctions. Notamment pour l’encadrement. Les démissionnaires retrouvent un emploi en moins de 6 mois.
Une nouvelle vision du travail en train de naître ?
La COVID (via le confinement) a généré une réflexion sur le travail, les conditions de travail et la vie en général. Les solutions trouvées avec le télétravail ont introduit l’idée que l’on n’est peut-être plus obligé de travailler comme avant. En tous cas pas tous, pas tous les jours. La période a aussi permis de réaliser que l’on n’est pas payé ou considéré à la mesure ce que l’on estime mériter (le mot clé est « estime »).
Ne plus être obligé de venir au bureau, de supporter des managers exaltés ou tyranniques, de perdre son temps dans d’interminables réunions ou dans les couloirs à bavasser et de rentrer tant bien que mal le soir au milieu de la foule déchainée des transports en commun (musique terrible genre Métal) ou dans le confort de sa voiture de fonction, bloquée sur le périph (orchestre symphonique). Au lieu de cela (petite musique guillerette, champêtre), pouvoir gérer vraiment son temps, pouvoir travailler à la campagne, gagner une heure ou deux de transport et les consacrer à sa famille ou à son développement personnel ou encore à son potager bio c’est séduisant. Et c’est le moment. Les économies sont importantes (merci le confinement) et les taux d’intérêt encore bas. Ah le rêve de voir passer le compost du balcon au jardin ! De pouvoir passer du feu rouge du dessous au doux chant des tondeuses !
En dehors du départ conjoncturel il y a aussi la démission pour motifs personnels. Nécessité de changer pour le plan de carrière, crise du milieu de vie et remise en cause du boulot et du reste, besoin de suivre le conjoint…
Quoiqu’il en soi, comme toutes les grandes décisions menant à des changements profonds (niveau de stress de l’ordre de 40/100 selon Holmes) il est bon d’y réfléchir à 2 fois pour que le saut dans l’inconnu ne conduise pas un sot dans le vide.
Démissionner c’est quoi ?
Un coup de tête : Olivier à la tête près du bonnet et il explose à la moindre alerte. Souvent il s’emporte et dépasse les bornes, parfois il menace mais ne passe pas à l’acte et là tout d’un coup, il démissionne ! Son boss qui n’en espérait pas tant lui tend papier et stylo… Son conjoint n’en revient pas ! Et lui le regrette mais ne le dira pas. L’aventure continue ou plutôt commence...
Un acte stratégique : « Après ton diplôme d’ingénieur et ton VIE, 2/3 ans passés chez Consultant Audit & Cie, tu te valorises en entreprise, avant d’être chassé pour un poste de Directeur HP (High Potential. A ce niveau on ne parle plus qu'Anglais) ». Hallucinant dirait Lucchini. A saisir se dit l’ambitieux Olivier.
Un acte juridique : « rompre le contrat de travail à l’initiative du salarié ». Une vraie liberté, même si l’on serait parfois tenté de la faire payer à l’employeur ou à la collectivité. D’un autre coté ce n’est pas bien vu de démissionner, c’est presque une trahison.
Pourquoi démissionner, mais surtout pour quoi ?
Au premier abord la situation est meilleure que celle que nous analysions dans l’article sur les ruptures conventionnelles. C’est le contexte psychologique (et éventuellement le choix du moment) qui change. Mais on est confiant. Content et confiant. A défaut d’être méfiant !
Voyons tout d’abord le pourquoi.
Je n’aime pas mon boulot.
Ennuyeux, sans avenir, pas reconnu. Effectivement on doit saisir la première occasion et partir, surtout si l’on est convaincu que l’on peut trouver mieux et que la lecture attentive de votre CV ne le dément pas. Tout le monde ne peut pas travailler dans une start up avec babyfoot et viennoiseries à volonté dans la salle de repos ! Mais il faudrait peut-être examiner la situation à tête reposée (Louis XVI). « La proie pour l’ombre ». « Tenir plutôt que courir ». Les maximes de la sagesse populaire ne manquent pas pour ne rien faire, ne rien changer. Menace ou opportunité ? Avec qui en parler sereinement, en prenant le temps d’être stratégique et de se poser les bonnes questions ? D’être sur …de rien en fait. Sécuriser sa moitié, son banquier, ses vieux parents. Mourir de trouille ou d’inconscience ?
Quand on entre dans la dynamique d’un nouveau projet on part dans le tout nouveau tout beau.
Le management, l’équipe, l’ambiance ne vont pas.
« Si je virais tous les c… je risquerais de ne pas être le dernier à partir ». Eclair de lucidité d’un grand dirigeant lors d’un échange…
Un mauvais manager, ou une mauvaise entente avec un manager et toute l’équipe peut chavirer et le climat devenir exécrable. En général la démission s’impose. A chacun de voir quel combat il entend mener. Mais démissionner pour mener le combat est surement un oxymore. Si l’on part c’est pour passer à autre chose, sinon c’est compliqué.
L’histoire montre que rien n’est jamais figé dans la Société ni dans les sociétés. Les conjonctures, les patrons, les politiques, les équipes et les modes de travail changent. Attendre un peu pour voir ce qui va changer ? Poser les bonnes questions aux bons endroits (DRH, N+1), faire part de ses désirs, de son analyse des dysfonctionnements ? Bien souvent les « N +2 » ignorent ce qui se passe réellement chez les « N –1 ». Une vraie réflexion et une proposition peut faire gagner ici ce que l’on cherche ailleurs. Et éviter ainsi la perte de valeur qu’entraine le changement. Bilan à faire et questions à se poser.
Ma famille ne fait pas bon ménage avec mes ambitions
L’équilibre entre vie pro et vie de famille est un besoin (surtout pour la famille). On peut penser s’en sortir en changeant d’emploi. Erreur : les mêmes causes produisent les mêmes effets. Olivier devrait voir un coach. Plus de 80% de temps efficace passé au boulot est une maladie ; pas la peine de chercher des facteurs exogènes. Changer pour de mauvaises raisons c’est comme une automédication pour la mauvaise maladie. Cautère sur jambe de bois, disait on autrefois.
Le grand truc que l’on entend souvent en coaching est du genre : « peu mais intense » c’est-à-dire : « Je les vois peu mais beaucoup ». Oui ça cloche quelque part je sais. Mais c’est ça le problème on se berce de mots pour cacher la misère ; « je les gère comme un dossier ». La famille est devenue une variable d’ajustement. Et la variable elle n’est pas satisfaite. C’est une constante !
A la suite d’une démission le retour à la maison n’est pas forcément bienvenu. « Ne te prends pas pour le père prodigue, pour ton retour la table est vide » dit la chanson. L’autre moitié qui vivait sa vie tranquille, avec ses propres routines doit maintenant s’adapter à l’Occupation. Une pièce préemptée « tu comprends j’ai besoin d’un espace à moi pour mener mes recherches et projets », au rythme des Teams et autres Skype. Imposer les conséquences de ses propres inconséquences. Dans ces cas-là on n’hésite pas à mettre la charge des déceptions sur les autres. La mauvaise foi et le déni aident parfois à vivre.
L’erreur de recrutement
Olivier s’est super bien vendu. Tout occupé qu’il était à obtenir le poste, pour des motifs pas clairs (prestige, succès du Winner, besoin d’argent…) il n’a pas vu l’évidence : climat pourri, espace vital occupé par les syndicats, chef tyrannique, collaborateurs périmés et démotivés (est-ce une erreur de recrutement ou une erreur de choix du candidat). Le salut est dans la fuite. Il est difficile, tout seul d’admettre que cette erreur c’est la sienne. Que ce n’est pas grave et l’erreur est humaine. Ah l’égo quel jeu de construction !
Voyons maintenant le pour quoi
L’appât du gain
La rémunération intervient dans 70 % des cas, même si ce n’est pas le moteur unique. Donc trouver un travail mieux payé c’est important. A un double niveau. Jusqu’à un certain seuil, propre à chacun, la rémunération est un moyen de vivre et d’assumer les choix de vie qu’Olivier a fait. Au-delà de ce seuil le salaire fait office de de thermomètre, d’instrument de mesure. Olivier vaut-il plus que ce c… de Didier ? L’égo va entrer en jeu. Ta ta ta… (Ca c’est du Renaud)
L’apparat du gain
Pour savoir qui est plus que l’autre (compétition bien connue des garçons à laquelle certaines femmes s’adonnent aussi. Freud en perd son allemand !) le salaire devient un instrument de compétiteur. Et là, les accessoires de la rémunération vont devenir ultra importants : la rémunération annuelle totale est le prix d’un poste. Les accessoires distinctifs vont devenir les symboles du pouvoir. Participation au CODIR, COMEX et autres COM, voiture de fonction et options, assistant(e), équipe, bureau grand comme un tennis… Jusque-là Olivier était payé normalement, ou en tous cas il s’en satisfaisait. Sa nouvelle richesse va imposer de nouvelles contraintes, de nouvelles responsabilités et de nouveaux stress. Donc on va perdre le confort que générait l’ancienneté (connaître les bons relais, les bonnes personnes et les bons circuits), évaluée en gros à 10/20 % en fonction du salaire et du temps de présence, pour un salaire plus important. Salaire qui va correspondre, au début, au salaire de la peur. La peur de tout perdre : l’ancienneté et la réussite. Si l’ancienneté est de 15 % et la promotion de l’ordre de 20 % (sinon pourquoi changer ?) le risque est donc à 35 - 40 % du package. Si tout se passe bien Olivier travaille plus et gagne plus, sinon… consulter son psy et le conseiller de Pôle Emploi.
Le must : pas de Cartier !
Le cabinet de chasse vous appelle. Déjà c’est du bonheur (« Chéri le cabinet X & Associés m’a appelé : ils ont un poste pour moi chez CAC 40, voire même chez Dow Jones ; tu te rends compte, toi modeste conjoint ? »). Olivier n’en peut plus : avoir la chance d’intégrer une équipe au top du marché ou un groupe au top du moment, c’est un must. Alors là c’est comme retourner à l’école. On va tout réapprendre. Gros effort, mais gros résultat ! C’est un peu comme passer de sa 308 à une grosse allemande. Ça roule aussi, mais ce n’est pas pareil. Par contre il faut parfois choisir entre le karting et la croisière, entre émotion et sécurité, entre courage et courbettes. Juste une question de profil. Vérifier que l’on a bien la tête de l’emploi, avant de s’aventurer. D’aucun diraient que c’est choisir entre la queue du lion ou la tête du chien. Pour moi c’est du chinois.
Et le manager face à la démission ?
Première idée : s’il part c’est qu’il n’était pas si bien que ça.
Certains managers (appelons les Didier) ne savent pas comment aborder le dossier par crainte d’être mal jugé. Une seule solution : dénigrer le partant en évitant de poser la question fatale, qui l’a recruté ce c… ?.
Sinon c’est remettre en cause Didier, qui n’a pas :
-
Su recruter et n’a pas écouté les silences de son chef. Silences pourtant éloquents et précieux (« c’était pourtant clair ! »).
-
Su mener comme il faut les entretiens. En d’autres mots il ne s’est pas couvert à terme et n’a pas anticipé ce départ ; manque de suivi ? De flair ? Du sens politique indispensable à ce niveau. Savoir dire avant le départ d’Olivier : « Olivier ne tourne pas rond en ce moment ».
-
Su mesurer le potentiel de l’avion de chasse que l’on lui avait confié, bien à tort. « Il n’a pas le niveau de ses fonctions ». Dernière chance avant éjection.
Si Olivier veut partir, il ne veut pas pour autant être humilié ou être considéré comme une quantité négligeable. Donc tristesse, regrets mesurés et si nécessaire pot de départ en comité restreint simple et amical, genre faux cul. Normalement Didier sait faire.
Deuxième idée : s’il part il y a peut-être un problème.
Dommage de ne pas en profiter pour voir avec Olivier ce qui n’allait pas et ce que l’on pourrait changer. Normalement il va parler vrai et il peut vous apprendre des choses. En tous cas il sera content de l’attention de Didier, et c’est important de se quitter bons amis, quand on peut. Quelquefois on en apprend de belles…
Troisième idée : la politique Kleenex : on jette et on en prend un autre.
Le turnover à un coût caché que l’on ne soupçonne pas : indemnités diverses de départ, manque à gagner, couts de recrutement et de formation du nouveau, impact sur l’image, les clients…la perte de potentiel, de temps dans le développement. La démission est rarement une bonne nouvelle. Même si Olivier n’était pas bon et que personne ne semble le regretter.
Point de vue du coach
Le coach n’a rien n’à voir dans le cadre d’une démission. Dans la mesure où il n’est pas averti avant et mandaté pour éviter une séparation, le départ d’un collaborateur n’est pas une mission de coaching.
Vis-à-vis du collaborateur un accompagnement peut être souhaité (voire même souhaitable) au moment de sa prise de décision et de sa réflexion sur l’avenir, mais elle n’est pas alors une commande d’entreprise. C’est une démarche individuelle qui peut remplacer ou compléter un bilan de compétences.
Le coach peut par contre intervenir utilement auprès d’un manager dont l’équipe souffre d’une ambiance délétère (ça il faut encore se l’avouer, sans fard) ou d’un turnover anormal. Aider le manager à analyser les causes, les méthodes de mangement inappropriées et à mettre en place des outils mieux adaptés. Hélas en général les plus mauvais managers ont rarement l’idée de se faire accompagner, puisque le problème ce n’est pas eux mais l’autre. Il arrive que le N + 1 impose un coaching. C’est encore rare et ce n’est pas gagné, mais la piste est bonne.
Bruno Decolasse, associé Evolution&Transitions (12-2022)